Plus de 1,2 million de décès supplémentaires par surdose d'opioïdes sont attendus d'ici 2029, et cette estimation ne concerne que l’Amérique du Nord. Un chiffre marquant néanmoins, alors que l'épidémie devrait s'étendre à l'échelle mondiale, avertissent ces experts. Cette large analyse, publiée dans le Lancet, souligne l’importance de lutter contre cette nouvelle épidémie médicamenteuse, éclipsée ces dernières années par la pandémie COVID-19 et révélatrice, selon les experts, des motivations lucratives de l'industrie pharmaceutique combinées à des erreurs des agences sanitaires et une prescription trop laxiste des professionnels de santé..
Les opioïdes sont une classe importante d'analgésiques historiquement et principalement prescrits en chirurgie, en soins palliatifs et en cancérologie, mais plus largement aujourd’hui, pour de nombreuses affections à court terme et chroniques allant des douleurs lombaires aux maux de tête en passant par les entorses aux chevilles. Ces mauvais usages et l’absence d’alternatives de soulagement de la douleur ont favorisé la dépendance de millions de personnes, non seulement aux opioïdes sur prescription, mais aussi à d'autres opioïdes illicites et synthétiques, tels que l'héroïne et le fentanyl.
L’analyse, menée à l’Université de Stanford conclut que sans interventions urgentes, dont une solide réforme des politiques de santé publique, 1,2 million de décès supplémentaires liés aux opioïdes sont attendus en Amérique du Nord d'ici 2029 : c’est plus du double des décès par overdose d'opioïdes survenus au cours de ces 20 dernières années. La crise s’est encore aggravée au cours de la dernière décennie alors que des substances, telles que l'héroïne et le fentanyl sont devenues plus largement disponibles. Et cette nouvelle épidémie devrait s’étendre, progressivement, partout dans le monde.
Prévenir de futures épidémies de dépendance aux médicaments
Principaux constats :
- 583.000 décès liés aux opioïdes sont survenus depuis 1999 ;
- en 2020, les États-Unis ont connu une augmentation de 37 % des décès par overdose et le Canada une augmentation de 67 % ;
- l'année 2020 a été la plus meurtrière à ce jour, avec en Amérique du Nord, plus de 76.000 décès par overdose d’opioïdes recensés ;
- si le pic de 2020 peut être en partie attribuable aux effets de la pandémie de COVID-19, une trajectoire croissante des décès était déjà évidente dans les 2 pays avant la pandémie ;
- ces décès liés aux opioïdes gagnent aujourd’hui les minorités ethniques ;
- concentrés chez les hommes et chez les jeunes et les personnes d'âge moyen, les décès par surdose ont entraîné un taux de mortalité ajusté selon l'âge chez les hommes 2,5 fois plus élevé que chez les femmes : 71 % des décès par surdose aux États-Unis et 75 % des décès au Canada se sont produits chez des hommes ;
- 87 % des décès par surdose d'opioïdes sont survenus chez des personnes âgées de 20 à 59 ans ;
Un appel à l’action : la Commission appelle à des actions basées sur la preuve pour briser le cycle de la dépendance, réduire l'épidémie actuelle et développer de nouvelles politiques de santé pouvant mettre fin à l'épidémie d'opioïdes et prévenir de futures épidémies de dépendance aux médicaments. Sont concernées, les politiques publiques et sanitaires mais sont également envisagées des réformes touchant l'industrie du médicament, la recherche et les innovations dans la gestion de la douleur, la révision des modes de prescription et une meilleure prise en charge de la dépendance par les systèmes de soins de santé. Les chercheurs mettent en exergue le manque de surveillance des autorités sanitaires mais aussi des prescriptions en nombre excessif des médecins :
ils appellent à une révision urgente de la réglementation des pratiques de prescription d'opioïdes.
Les opioïdes révélateurs d'un mal-être social : au-delà de leur fonction analgésique, la surconsommation d’opioïdes est révélatrice d’un mal-être croissant. Ainsi, relèvent les auteurs, la pandémie de COVID-19 -qui a éclipsé l'épidémie d'opioïdes et submergé les systèmes de santé a aussi créé des facteurs de stress tels que le chômage, l'invalidité et la perte d'êtres chers qui sont aussi des facteurs de plus grande consommation de substance et de dépendance.
Des conséquences lourdes à long terme : se basant sur les données épidémiologiques actuelles, les chercheurs prédisent « une cascade de catastrophes de santé publique telles que l'invalidité, l'éclatement de la famille, le chômage et la négligence vis-à-vis des enfants ». D’autant que l'épidémie d'opioïdes pourrait s'étendre à l'échelle mondiale : plusieurs pays en dehors de l'Amérique du Nord connaissent déjà une forte augmentation de la prescription d'opioïdes, notamment les Pays-Bas, l'Islande, l'Angleterre, le Brésil et l'Australie. Les pays à revenus faibles à modérés ne doivent pas être oubliés : « Les réglementations mondiales seront cruciales dans les pays aux ressources limitées, qui manquent déjà d'infrastructures de santé publique suffisantes et ont besoin d'alternatives analgésiques efficaces ».
La dépendance aux substances est une véritable pathologie : « La toxicomanie fait partie intégrante de la santé de la population et ne doit pas être traitée comme une déviance morale qui appelle une punition, mais comme un problème de santé chronique qui nécessite un traitement continu et un soutien à long terme ». C’est donc aussi, toute une adaptation des systèmes de santé qui est à envisager. Avec la mise en œuvre de mesures de prévention, de bonnes pratiques de prescription et de suivi des patients : « Les opioïdes ne doivent pas être considérés comme bons ou mauvais, mais plutôt comme une classe de médicaments essentiels à la gestion de la douleur. Cependant, les opioïdes comportent des risques sérieux, dont certains peuvent être difficiles à reconnaître. Cela est particulièrement vrai lorsque des doses élevées sont prescrites, ce qui est plus probable en l'absence de surveillance, de directives de pratique médicale claires et de réglementations gouvernementales.
Les cliniciens doivent être formés à une prescription responsable de la gestion de la douleur ».
Ne pas oublier la prévention et l’ETP : la prévention commence dès le plus jeune âge. La recherche indique que les expériences négatives pendant l'enfance et l'adolescence – telles que le manque de récompenses positives dans l'environnement, l'éclatement de la famille et la violence physique et verbale peuvent influencer la probabilité d'une dépendance future. C'est également à cette période de la vie que l'exposition et l'incidence des troubles liés à l'utilisation de substances sont les plus fréquentes. Les usagers de santé devraient également être mieux informés.
« La prévention de la toxicomanie devrait faire partie d'une stratégie globale de santé publique qui commence dès l'enfance et jette les bases d’une réduction drastique et à long terme de la toxicomanie », concluent les chercheurs, qui appellent finalement à un changement radical de politique et de culture où l'innovation, la collaboration et la réglementation sont renforcées.
Sources:
- The Lancet 2 Feb, 2022 DOI : 10.1016/S0140-6736(21)02252-2 Responding to the opioid crisis in North America and beyond: recommendations of the Stanford–Lancet Commission
- The Lancet Regional Health: Americas July, 2021 DOI : 10.1016/j.lana.2021.100031 Effectiveness of Policies for Addressing the US Opioid Epidemic: A Model-Based Analysis from the Stanford-Lancet Commission on the North American Opioid Crisis, https://www.thelancet.com/journals/lanam/article/PIIS2667-193X(21)00023-5/fulltext
Plus sur la Crise des opioïdes